.
Chapitre 34 . Le vieux au casque orange
–
Là, Maloiseau évoquera un essaim d’ autres vieux que ce vieux juif en déshérence.
Il s’agira en premier lieu, mais c’eût pu être en dernier lieu comme le poisson du même nom, d’un de ces vieux friqués en retraite effective qui utilisait sa Harley pour aller chercher trois fois par jour sa baguette de pain petit sac Quechua sur le dos .
Maloiseau en avait déduit qu’il avait un élevage de poissons, de cochons ou de canards. Tant de pain chaque jour ce devait être pour la préparation des pâtées.
C’était une gringalet barbichu qui lui aussi se prenait pour l’un des nombrils du monde, n’exagérons pas, mais nombril du quartier quand même à sa manière et qui s’affichait déjà comme un Biker consacré.
Depuis des années il passait à six heures trente précises devant la maison des Maloiseau et dans sa combinaison de scaphandrier motocycliste en cuir ultime, challenger d’Alpinestar – Maloiseau avait vérifié – équipé de protections homologuées il trônait littéralement sur sa Harley, ouvrait les cuisses comme il n’est décemment pas permis et faisait éclater toute la gamme des sons pétaradants de son pot d’échappement qui fracassait la nuit encore tranquille des rues et le sommeil ultime des récalcitrants.
Un matin Maloiseau se trouva derrière lui à la boulangerie, l’autre indisposé soudain par une onde maléfique se retourna vers Maloiseau qui lui avait choppé le regard et le lui soutenait. L’autre comprenait que quelque chose se passait et attendait l’attaque mais Maloiseau tout bonnement se dégonflait. Et l’autre entendait ce pschiiiitt ! de Maloiseau qui craignant les coups de l’avorton ou une réaction à laquelle il n’était pas préparé effectivement faisait pschiiiitt étonné de découvrir que sa dégonflade émettait un souffle .
C’était à l’époque où la boulangerie, qui ne faisait pas nécessairement du bon pain et dont l’ouvrier boulanger selon que c’était lui ou son fils, cuisait plus ou moins la baguette toscane à un euro douze, était tenue par une jeune femme qui avait non seulement un enfant mais un mari atteint d’un cancer et qui tous les matins se tapait une heure de route pour venir travailler.
Bref Maloiseau ce potentiel tueur en série, ce redresseur des torts présents était un gros dégonflard dont il ne savait pas si le mot prenait un t ou un d. Bon, il n’avait qu’à écrire dégonflé, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué mais le compliqué était dans son adn. Un d dit le Larousse. Il avait bon.
Ce qui ne le dissuadait pas pourtant lorsqu’il revenait avec sa baguette de pain et qu’il croisait l’autre sur sa moto de s’arrêter sur le bord du trottoir et lorsqu’il passait devant lui de le regarder en se vissant l’index sur sa tempe.
Et le dimanche cette fois avec la combinaison de l’homme grenouille averti, le gringalet allait faire sa randonnée vélo.
Il l’aurait ce petit con, je l’aurai, je l’aurai maugréait Maloiseau. comme il aurait celui-là l’autre biker sus-mentionné, encore un cinglé qui n’avait pas accepté de devoir prendre sa retraite et qui cherchait tous les moyens de se distinguer et de rappeler qu’il existait et qu’il n’avait pas été n’importe qui. Et pour ce faire il avait un vélo dernière technologie, deux voitures de luxe et sa fameuse Harley Davidson avec son casque aluminium orangé.
Mais là, il s’agit en second lieu du frimeur à la baguette de pain.
Décidément dans le quartier et plus précisément dans cette rue du colonel D *** il y avait quelques beaux échantillons de seniors. Des vieux qui avaient un intéressant pédigrée quelque fût leur origine, leur histoire socio-professionnelle et qui aujourd’hui n’étaient plus que des morceaux d’épaves que la vie avait fini, leur temps étant venu, par faire échouer sur les rives du Léthé.
Alors pour eux découvrant avec stupeur que le temps n’était plus à faire des projets mais à mettre leurs petites affaires en ordre, pris soudain d’un formidable effroi ils entraient dans le déni de réalité et se recomposait une nouvelle existence feignant de croire qu’un nouveau délai leur était alloué sous forme d’un contrat à durée toujours indéterminée qu’ils se rédigeaient. Ils ne se pensaient pas mais s’affirmaient immortels. Et pour certains être immortels c’était déjà exister donc se faire voir au présent, c’est-à-dire frimer à l’exception du pope en tongs mais qui se la jouait quand même vieux sage aux pieds-nus, alors qu’il n’était qu’un pauvre bougre dont les cors au pied le faisaient horriblement souffrir..
Lui, là, le biker, était, avait été, selon une fois encore les déductions et intuitions de Maloiseau un ancien chirurgien des hôpitaux. Pourquoi ? Parce que le véhicule une jaguar rutilante de sa femme une métisse au visage émacié d’affamée éthiopienne aux jambes d’anorexique affichait sur le parebrise le logo du centre universitaire hospitalier de *** .
Mais Maloiseau apprendra assez vite par une autre connaissance de la rue et qui réside en face que c’était un dentiste.
Que lui avait-il fait celui-là ? Il lui avait fait que Maloiseau un matin avait stationné son véhicule dans l’impasse au pied du mur du jardin de la maison du drôle qui avait façade sur la rue, et mur de jardin au pied et au long duquel les véhicules venaient stationner en cette impasse sans trottoir.
Certes le véhicule de Maloiseau était bien rangé et ne causait aucune gêne mais il avait le tort de coincer l’emplacement où la dame du monsieur garait sa voiture puisqu’une barrière en fer plantée au sol fixait l’autre limite du marquage du stationnement et l’entrée de l’impasse. La dame était au travail à ce moment-là, l’emplacement était donc vide. Elle eût été là qu’elle pouvait aisément stationner son véhicule, mais devant effectuer toutefois une manoeuvre pour se caser dans l’espace ainsi circonvenu.
Le vieux ponte qui fouinait dans son garage sortit la tête, observa Maloiseau puis alla à sa rencontre : » Vous êtes dans une impasse privée, vous vous octroyez une place pour laquelle je paie un impôt et vous coincez la voiture de ma femme qui peut-être appelée en urgence, et d’ailleurs monsieur où habitez-vous ? «
Maloiseau eut envie dans un premier mouvement de l’envoyer paître, de lui lancer un sonore ; » Je vous em … Monsieur ! » mais Maloiseau n’a jamais aimé la résonance fécale du mot et ne l’emploie jamais, alors il se haussa du col et le prit de haut ; » Un ; je ne coince pas votre femme, où alors dites-moi en quoi et comment ; deux ; si je la coinçais je ne l’empêcherais pas de stationner et donc de rejoindre les urgences; trois; pour le reste mon ami appelez la police. «
Et l’autre un peu surpris lui rétorqua : » Vous êtes vraiment un pauvre con ! » retourna sur ses pas, mais se ravisant revint vers Maloiseau le priant de l’excuser. Cramoiseau se la joua haute, à la César, leva le bras lança la main parodiant le geste auguste de l’empereur dédaignant l’excuse d’un fat et s’en alla.
Maloiseau qui avait tout le loisir d’observer le type considérait qu’il n’acceptait pas sa mise à la retraite. Alors l’homme sombrait et se cherchait des refuges.
Il avait de l’argent. Il s’acheta une deuxième voiture de luxe, un vélo, et le clou une Harley Davidson. Si à soixante dix-ans on n’a pas de Harley Davidson c’est qu’on a raté sa vie ! Eh bien Maloiseau faisait partie de ceux-là, Maloiseau avait raté sa vie et n’en faisait pas un monde mais pour autant à quatre-vingts ans il allait régler ses comptes. Privilège de l’âge.
Tandis que le chirurgien présumé et retraité acquis s’emboîtait le chef dans un casque génial en aluminium orangé openline prime.
L’été il sortait son coupé décapotable. Le dimanche le vélo et la tenue du cycliste très pro et très gugusse – comme l’autre guignol de la rue des Roses – et de trois à quatre fois par jour sortait sa grosse trottinette à moteur, rentrait, ressortait, rerentrait avec sa moto toujours éructante et son petit sac à dos.
Son petit sac à dos Quechua, d’où jaillissait la baguette tel un sexe tendu par quelque dose de viagra mêlée au levain, échappée de quelque braguette inopément ouverte….
Un jour quelconque Maloiseau l’avait même surpris paradant sur l’une des deux places centrales de la ville où de manière ostentatoire et devant la pharmacie il avait stationné, paradé, exhibé sa danseuse, quêtant les regards d’addicts aux carrosseries rondes et éclatantes …
Sa métisse de femme, elle, le rachetait un peu en ce sens qu’un matin elle était tombée sur Maloiseau en sortant de chez elle et s’étant trouvé presque nez à nez avec lui, lui avait ouvert un grand sourire sympathique en guise d’excuses.
Ce qui gênait Maloiseau c’était ses yeux globuleux de Chihuahua … Mais moi Maloiseau suis-je parfait se rattrapa Maloiseau qui était honnête.
Le plus amusant s’agissant de ce bonhomme mal dans sa peau de retraité et surtout mal de ce qu’on ne reconnût plus l’immense chirurgien-dentiste qu’il avait été, est qu’il avait une fille genre mulâtresse aux yeux à s’y perdre, Maloiseau la croisant par hasard comme elle sortait son chien-loup y avait plongé. Se rendait-il compte Maloiseau qu’il s’était payé le luxe de plonger dans les yeux de la mère et de la fille.
Cette fille était macquée avec une espèce de zadiste descendant des feu soixante-huitards, elle venait régulièrement séjourner chez papa et maman, avec son zadiste ou pas, mais toujours avec un combi tagué, crado et ce chien-loup à faire peur, des dreadlocks sur la tête. Maloiseau qui dans le fond était un honnête homme aimant la paix des justes s’interrogea. Devrait-il faire passer à la casserole cet homme qu’entouraient deux femmes a priori simples et souriantes… Il se dit qu’au lieu de répondre l’autre fois aux excuses de l’autre par une morgue de prélat, au repentir du drôle, il aurait dû tomber le masque, lui tendre la main, allez ! excusez-moi je vous comprends, comprenez-moi aussi, la main touche la main et nous nous souvenons que nous marchions ensemble, que l’âme est immortelle et qu’hier c’est demain. Non, là peut-être pas, il en faisait trop.
Oui, il aurait dû faire cette démarche positive toute en sociabilité, mais non ! Parce que Maloiseau ne pouvait pas, parce que Maloiseau devait rester fidèle à lui-même. Puis il faut le dire il ne se complaisait que dans l’insolence, la provocation, l’insulte, le mépris, la querelle, les conflits …
Donc bien qu’il en ait eu après lui Maloiseau considéra qu’il pourrait bénéficier de quelque clémence. Il griffonna dans le coin supérieur de sa feuille un astérisque de couleur verte signifiant la nécessité d’un réexamen bienveillant du dossier, signe de clémence dont ne bénéficierait pas le délinquant suivant. Mais il ne faut jamais dire fontaine je ne boirai pas de ton eau, il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
µµµ
.