Chapitre 25. Idiot mais lucide.
Toujours est-il que dès ces six ou sept ans Maloiseau enfant, borné, a priori, mais mâture avait non seulement su diagnostiquer son mal mais compris son incapacité à être comme les autres, et avait eu la conscience, vive, aigüe, et douloureuse d’un handicap, d’une anormalité qui le rendait déjà et le rendrait à jamais différent des autres dont il ne serait jamais le semblable, l’égal, avec lesquels il ne combattrait jamais à armes égales, dont il serait souvent la risée, dont il serait toujours le discriminé, le demeuré, le pauvre, l’idiot quoi, l’idiot de la classe. Il savait que ce handicap le punirait, qu’il serait noté, classé, sous-évalué, marginalisé, que ce handicap le conduirait à l’échec, aux échecs, aux humiliations.
Ce handicap qui lui vaudra plusieurs redoublements durant ses études secondaires et des échecs successifs au fameux bac, le laissant cabossé, meurtri, humilié, claqué désespéré, effondré devant toutes ces portes d’accès à l’Université, au monde du travail, à la reconnaissance d’un statut lui conférant le droit à l’existence, toutes ces portes fermées. Le conduisant une fois un matin de fin de vacances scolaires à une tentative de suicide plus ou moins simulée mais qui n’avait pas été loin de précipiter sa fin, lui laissa une douloureuse couronne d’épines, comme un collier sanglant de longues semaines durant qui ne trompa personne.
Il avait passé une ficelle, une simple ficelle pour emballage sur la poutre d’un portique à l’entrée du potager de ses parents dans leur maison des bords de Loire. Puis il s’était enroulé l’extrémité autour de son cou, quand mouvement délibéré ou simple trébuchement sur la marche, tombant, il avait entraîné la corde qui s’était bloquée sur la poutre et qui maintenant le pendait. Il sentit son cou gonfler, il vit une effervescence d’éclairs il essaya de dénouer la ficelle, y parvint, se la dénoua.
Il avait autour du cou un cercle purulent provoqué par le ripage de la ficelle sur sa nuque qui lui avait brûlé toute la chair autour du cou. Il hurla dans un réflexe de peur empreint toutefois d’une volonté de mettre en scène ce moment et à l’attention de sa mère tu as essayé de m’étrangler, tu as essayé de m’étrangler.
Et la vie continua … L’on n’en parla pas, l’on en parla jamais. Si ! l’une de ses cousines lui dit tu sais tout le monde a compris. Mais personne ne l’approcha pour lui parler. Les croûte disparurent, la cicatrice demeura longtemps..
Il a encore le visage de ses maîtresse d’alors, la pomponnée et frisée madame Sevestre, mais il était trop jeune pour savoir si elle était frisée partout, jupe plissée et lèvres carminées et la grise madame Champi à chignon, maîtresse et maîtresse femme à la posture de garde-chiourme. Il y connut encore une malencontreuse mésaventure. Ayant levé le doigt trop tard, et n’ayant pu se retenir en traversant la cour, il fit. Puis alla se renfermer dans le cabinet à la turque et à la porte rouge et n’en bougea plus jusqu’à ce qu’enfin l’heure ayant sonné l’on découvrit son absence et l’on vint le chercher.
Il se souvient encore de la bonne note qu’il eut lorsqu’en cours de dessin il décrocha une bonne note pour une feuille de platane mordorée qu’il y avait dessinée.
Mais c’est à Guist’hau que le petit Primus s’éveilla aussi à l’amour, il y eut une petite maîtresse, elle aussi au caractère bien trempé, une Thérèse Masseron brune mignonne mais pincée et condescendante, déjà. Il n’est pas certain que soixante quinze ans après elle soit morte.
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A Suivre
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