.Chapitre 30. Le vieux pope
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Maloiseau se secoua vivement à la manière d’un chien qui ayant effectué quelques bruyants barbotages dans une mare remonte sur la rive et s’ébroue avec vigueur.
A qui le tour ? c’était celui du vieux pope.
Oui encore un vieux. A croire qu’il y avait une maison de retraite dans le quartier, jadis l’on disait asile de vieillards, puis l’on dît hospice mais maintenant l’on se gargarise avec établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, le beau serpentin et l’on dit ehpad, prononcez en accentuant sur le d, sur le » de » dirait une professeu-re de maternelle en chandail, blue jean, baskets percing dans le nez et tatouage sur le sein gauche. Dans » L’Etranger » de Camus, Meursault évoquant la mort de sa mère mentionne l’asile de vieillards dans lequel elle venait de finir ses jours. Aujourd’hui l’on a beau mettre les vieux dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, elles y meurent toujours où est le progrès ? Il y a quand même des personnes âgées dépendantes plus fufutes qui aujourd’hui savent mourir chez elles après avoir bien profité d’une pseudo-aide-soignante maghrébine non déclarée qui les tutoie et se laisse pincer les fesses après avoir obtenu l’autorisation de mettre leur nez partout mais non celle de chouraver quelques billets de cent euros cachés sous la vieille moquette décollée.Pour les vieux qui donc étaient en ehpad l’on ne pouvait empêcher de les sortir prendre l’air.
Le pope, pas un pope, ça c’était l’avatar dont Maloiseau l’avait affublé, lui ne vivait pas dans un ehpad mais dans une espèce de couloir sordide doté d’un étage au fond d’une cour, un vieux, un vieux qui du matin au soir s’en extirpait. Sa vie n’était faite que de quatre à huit escapades et déambulations quotidiennes. Il sortait du porche de son immeuble, puis allait et venait tout au long des jours, arpentant le bitume des trottoirs, y épuisant de son pas paresseux et traînard les semelles de ses tongs qu’il chaussait très souvent et même parfois l’hiver, sans doute avait-il des cors qui ne supportaient pas d’être emmaillottés par une chaussette elle même enserrée dans un chaussure fermée, lacée, suintante. C’était bien ça, Maloiseau s’était renseigné il avait des cors aux pieds.Un pied, un cor, une chaussette, une chaussure, des lacets, que c’est compliqué la vie lorsque l’on devient vieux. Jadis le pied s’enfilait tout seul dans la chaussette consentante puis glissait énergiquement dans la chaussure qui s’ouvrait toute seule et se laissait lacer les yeux fermés tant les doigts excellaient dans l’exécution de leur partition. Jadis, mais de jadis à aujourd’hui s’étaient déroulées des années-lumière.
Un vieux à lunettes, car les serpents ne sont pas les seuls à en porter bien qu’ils n’aient pas de nez, or les nez disait La Bruyère ont été faits pour porter des lunettes, un gros nez qui n’était pas de carnaval, – mais l’on dit que les nez comme les oreilles sont les seuls appendices qui grandissent avec l’âge, il n’y a donc pas dans un souci d’esthétisme, intérêt à s’éterniser trop sur le large univers de cet appendice – un vieux la chevelure hirsute et la barbe pagailleuse, un vieux dont la main du bras gauche s’agitait toute seule, tressautait, sans doute le syndrome de la maladie de Parkinson, qui semblait dire lâche-moi la bride vieux ventripotent, car le vieux était ventripotent.
Et la main ça la révulsait d’appartenir à une vieux et ventripotent, et affecté par la fameuse maladie neuro-dégénérative que feu François Nourissier avait baptisé obligeamment madame P . Maloiseau avait des lettres. Et comme il était humble il ne mettait pas de majuscules à lettres.Maloiseau ne portait pas de jugement, non il décrivait.
Narration pour la semaine prochaine ; » Décrivez l’un de vos proches ; » Mon frère avait décrit notre Père – qui n’est certainement pas au ciel bien qu’il le méritât et qui quelques heures avant sa mort avait récusé et repoussé en levant dans un geste las de dénégation sa grande et belle main squelettique dont le sang de la mort tout proche avait tourné dans les veines jusqu’à se teinter du violet létal, le prêtre qui s’était présenté à lui – avait décrit mon père ainsi ; » Mon père a un grand nez pointu. » ça avait fait rire à la maison. D’ailleurs du même geste de sa main exsangue mon père avait toujours quelques courtes heures avant son dernier souffle comme répudié ma mère éplorée qui avait essayé de l’approcher. » Ah non ! pas toi, ça suffit ! » Sa mère était retournée à sa chaise piteuse, pitoyable. Maloiseau en avait encore la vision dans le coeur qu’une tristesse vieille de trente ans mordait encore. Quels drames masquaient ce rejet.
Et le frère de sa mère qui dans on lit de mort bien lucide à quelques heures de mourir avait dit à Maloiseau : » ça je ne le pardonnerait jamais à ta mère » Mais ça, quoi ça ! ?
Qu’était donc cette mère indigne qu’avait-elle fait qu’on la rejetât de toutes parts…
D’ailleurs Maloiseau convenait qu’il avait lui-même un nez qui ne s’arrangeait pas avec l’âge, long, sans finesse, et qui de plus en plus souvent outre qu’il semblait s’évaser en son extrémité se revêtait de la couleur de la pourpre cardinalice.
C’est bien connu les nez des vieux se gonflent, leurs oreilles s’élargissent et n’ont rien à envier à celles des éléphants.
Un matin comme Maloiseau aux aurores revenait à pied du marché avait surpris le vieux dans la laverie automatique du haut de la rue.
Naguère on le voyait souvent dans la rue traînant à son bras une vieille femme de ses âges toute petite, toute ramassée, toute bossue, tout en vrille et dont le cou semblait avoir été vissé à l’envers, et qui logeait dans l’entresol de l’immeuble d’en face. Une cousine, une soeur, une vieille amie ? Une pauvre histoire.
Un jour Eugénie dont Maloiseau était le mari les avait croisés dans le bus, les avait salués et s’était autorisée à leur dire dans l’esprit et l’amorce d’un échange cordial qu’il était bien dommage qu’entre voisins résidant à quelques dizaines de mètres des uns des autres, l’on s’ignorât aussi bêtement. Elle leur avait dit » C’est dommage qu’habitant non seulement dans la même rue et n’ayant même qu’à la traverser, c’est dommage que l’on ne sache mieux se connaître et se parler ! » Les vieux n’avaient pas bronché.
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