Chapitre 26. Le curssus de Maloiseau
Scolarités.
Il redoubla sa cinquième, sa première, peut-être mêm… non il ne savait plus et il échoua au bac, une fois, deux fois … et ce fut la fin de son cursus secondaire. Il dût partir faire son service militaire.
On eût pu lui remettre un diplôme innovant qui lui eût procuré un vade-mecum qui lui eût permis d’entrer dans la vie la tête sur les épaules, lui donnant acte de ses carences, et le consacrant docteur honoris causa lui conférant une forme de reconnaissance pour son assiduité, son sérieux, sa persévérance dans les échecs, et sa volonté envers et contre tout de réussir, – d’autant que lui ne doutait pas paradoxalement qu’il y parviendrait, pariant qu’il arracherait un métier qui ne fît pas de la mathématique la science suprême et incontournable, le sésame de la réussite – enfin ce diplôme pour saluer d’avoir trois années durant emporter le premier prix de Français de la quatrième à la seconde au lieu de quoi l’administration de l’établissement peu encline à l’imagination créatrice et à un accompagnement de l’une de ses brebis égarée, l’abandonna, le laissa partir avec l’opprobre d’un triple zéro qui lui enfonçait du coup bel et bien la tête dans les épaules, et l’amenait à marcher dans les rues en rasant les murs y râpant, y écorchant contre leur pierre la peau du dos de sa main lorsque des vagues suicidaires l’envahissaient. Et pendant plusieurs semaines il arborait la main brûlée, que les croûtes cicatrisaient …
.Les colères de l’adolescent Maloiseau qui ébranlaient lourdement la famille… Les bagarres avec son frère les bagarres avec son père. Le poing à travers la vitre. Le pantalon que son frère déchira après un chute de vélo et qui déclencha de la part de Maloiseau une véritable crise furieuse, hurlements à l’appui. Ses lancées de fromage blanc contre la tapisseria récemment renouvelée et posée. L’enfer, un enfer !
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Service militaire et retour à la vie civile
Libéré de son service militaire il se retrouva non pas à la rue, papa et maman l’attendaient alors que ses coreligionnaires avaient eux déjà le pied à l’étrier de la vie active alors que lui s’il n’avait pas sur le coeur l’étoile jaune avait sur le front la forme ronde du zéro, la lettre rouge de l’infamie, le chiffre noir du déchu.
Sans diplôme il était dirait-on aujourd’hui comme une sorte de sans papier, de sans visa, une espèce de sans-dents aurait ricané un ex-président normal, un type qui avait toujours échoué, doté d’une intelligence déficiente dont on ne pourrait jamais rien tirer. Un sans-neurones quoi !
Qu’avez-vous comme diplôme, je n’en ai pas. Mais le bac ? je ne l’ai pas. Les visages se fermaient, gênés. Et les filles ; Vous habitez où ? Je suis chez mes parents. Elle baissait les yeux, esquissait un petit sourire pointu. Il y avait un grand silence. Ah ! Elles ce n’était pas la gloire non plus, les filles, pas le haut du panier, mais elles étaient comptables, sténo-dactylos, fières de l’être et condescendantes, un tantinet compatissantes, propriétaires de leur quatre L ou Deux chevaux. Pas des lumières non plus mais des cousettes, des petites mains heureuses de leur sort et de leur petit popotin. Considérant le niveau zéro qu’était le sien il n’osait aborder les filles de l’Université.
C’est sa mère qui curieusement mais peut-être souhaitant confusément contribuer à le déniaiser, et qui quelques années plus tard se conduisit vis-à-vis de lui de manière ignominieuse à son encontre, jalouse de ses liaisons et qui à son retour de ses sorties humait ses cols de chemises et ses cravates empreintes du parfum des jeunes filles en fleurs, c’est sa mère qui l’incita à s’inscrire à un cours de danses là où elle-même avait appris à danser et où la même professeur qui lui avait enseigné la danse de salon lorsqu’elle était jeune, professait encore à quatre-vingt ans encore, épaulée par une entraîneuse de dix-sept dix-huit ans.
En outre à deux minutes de chez lui Maloiseau existait un Salon où se tenaient régulièrement le samedi soir des nuits dansantes. Et Maloiseau libéré du service militaire sans emploi ou à peine, au moins à peu près satisfait de son physique et d’un charme certain se risqua à aller danser, à aller vers les filles auprès desquelles il connût un joli succès, banal, modeste, mais évident et plaisant. Mais un succès empêché par son statut de garçon sans diplôme, sans emploi, qui vivait en outre chez papa et maman et qui n’avait de voiture.
Pourtant c’est là qu’il les cueillit, c’est là qu’il noua ses premières amourettes d’autant moins risquées qu’ en ce temps-là monsieur on ne couchait pas. Enfin cueilli, il n’en cueillit aucune, il en effleura oui, mais n’en cueillit pas faute de pouvoir se prévaloir d’un métier, d’un salaire. Il n’avait qu’un solex. Les filles n’aiment pas les nuls.
Pourtant Maloiseau tout en étant lucidement conscient de ses limites en était tout autant de ses potentialités, car il en avait. Et ce n’était en outre, malgré tous ses défauts de fabrication qu’étaient les siens, ce n’était pas un perdant. C’était même un battant envers et contre tout.
Alors il se battit et prépara examens et concours. Et la chance l’accompagna. Ainsi dans la vie au fond des désespoirs les plus désespérés qui paraissent sans appel une lueur finit toujours par sourdre de la cendre refroidie de la dernière éruption. Et c’est une main qui se tend soudain. Et qu’il convient surtout de ne pas refuser dans un réflexe inopportun de puérile fierté, d’ego suffisant et ridicule.
Ainsi à cette sortie du service militaire, il fut employé par le directeur d’une union de centre de vacances qui l’employa comme factotum pour quelques dérisoires billets de la main à la main et c’est alors qu’il passa quelques semaines à couvrir quelques centaines de livres de la bibliothèque de l’établissement. La gloire ! Imagine t-on ce que c’est que de couvrir des livres à longueur de journée, dérouler des rouleaux de feuilles plastifiées, y placer le livre ouvert, et à coups de ciseaux en découper le format utile, puis y coincer le livre, tailler le petit triangle en haut et en bas, y lisser les rabats, les coins, puis scotcher pour assujettir la couverture. A longueur de journée. Certes vous pourriez être aussi au fond de la mine. Il était au fond de la soute, il était dame pipi. Balayeur de chiottes. Le pauvre mec auquel on faisait l’aumône.
Fierté Maloisienne
Un matin Maloiseau découvrit que la salle de réunion dans laquelle il procédait à la couverture des livres s’était transformée dans la nuit en une salle à manger avec la table et une dizaine de couverts et d’assiettes jonchées de restes alimentaires maculés, de sauces refroidies, de verres aux fonds encore emplis de vin rouge, de bouteilles sans bouchons à moitié pleines ou à moitié vides, de morceaux de pain rassis, de serviettes en papier chiffonnés.
D’emblée sans que l’on lui ait demandé, et le directeur n’était pas là ce jour-là, il se refusa à prendre l’initiative d’ y mettre bon ordre. Il perçut cependant l’attente des deux secrétaires qui reniflaient les relents fétides, les fumets des chairs et sauces froides en décomposition de la nuit qui se promenaient d’une pièce à l’autre au gré des courants d’air se mêlant aux émanations de leur eau de cologne ou parfum respectifs. Il couvrait bien des livres, il pouvait bien débarrasser la table, faire la vaisselle, descendre au local poubelle, faire le le ménage. Cette tâche ne ressortissait-elle pas à l’emploi pour lequel il avait été embauché, n’était-il le profil idoine, le jeune homme sans le sou auquel on rendait service, donc ne devait-il pas être l’homme à tout faire, le factotum, le larbin, l’homme de ménage quoi ! Le lendemain le directeur rentra, constata le cloaque, dut prendre acte sans le leur donner de la mauvaise humeur des secrétaires, et regarda Maloiseau qui ne broncha pas. Alors il appela l’éducateur responsable des agapes. Et l’incident fut clos sans paroles ni récriminations ultérieures. L’éducateur rangea son ego et se mit à l’ouvrage.
En outre Maloiseau releva et lui en su gré que lorsqu’ il quitta ce travail coupe-la-faim pour un travail d’auxiliaire de bureau au Rectorat qui lui fut proposé par l’entremise d’un chef de service de l’Education nationale, responsable du centre régional des oeuvres universitaires auquel son père employé de commerce, chef de rayon vendait des rideaux, des torchons et des serviettes pour le restaurant universitaire, le directeur lui serrant la main de l’au-revoir lui dit ; » Je te souhaite bonne chance. Jusqu’alors tous ceux auxquels j’ai tendu la main ont réussi. «
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Auxiliariat
. Réussir. Et Maloiseau l’entendait bien ainsi. Il n’allait pas rester employé d’administration toute sa vie, qui plus est auxiliaire de bureau c’est à dire à titre précaire et révocable à tout moment et sans délai. Il se prit en mains, et sans entremise, seul.
Il lui fallut alors et d’abord passer un examen qui d’une part lui permettrait d’obtenir l’équivalent du bac, et éventuellement d’entrer en faculté, mais surtout de passer des concours administratifs. Non sans mal il réussit à se préparer, parallèlement à son emploi d’auxiliaire, à l’examen d’entrée en faculté des lettres, et c’est aussi non sans mal qu’il le décrocha grâce d’ailleurs au président du jury de l’oral qui n’était autre qu’un ancien professeur d’Histoire et de Géographie qu’il avait eu au lycée et auquel Maloiseau répondit, puisque l’autre l’interrogeait sur ses intentions, que cet examen lui donnerait accès à la possibilité de passer des concours administratifs de catégorie B.
Ainsi Maloiseau finit-il malgré ce cheminement fastidieux, laborieux, tortueux, douloureux, par un beau rétablissement à atteindre un joli barreau de l’échelle sociale par le biais d’un concours administratif certes de modeste niveau puisque de catégorie B mais de niveau quand même puisqu’il obtint un classement plus qu’honorable et qui allait lui constituer le tremplin pour enfin conquérir un noble statut au sein de la société en se présentant quelques années après à un concours de catégorie A..
Mais après ce long éloignement revenons à notre histoire dans laquelle présentement il faut le dire pateaugeait Maloiseau.
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A Suivre
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