Chapitre 27. Et si Maloiseau était un grand malade ?
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Quand Maloiseau eût établi ses listes et qu’il les eût relues, il prit conscience que c’était là, la liste d’individus en chair et en os qu’il s’était tout bonnement promis de liquider c’est à dire de tuer, oui tuer, avec ce que cet acte majeur signifiait en qualité d’acte barbare, avec ses cris, ses coups et ses giclées de sang, ses convulsions du corps encore vivant. La vision de l’horreur, des douleurs, des agonies, dans l’oeil exorbité et effaré de son martyr. Il en eut un frisson. C’était un grand malade.
Soit ! mais tout ça pour l’instant c’est un fantasme, un chiffon de papier, j’écris, j’en rêve et rien n’est fait, se rassura t-il … je ne suis encore que le citoyen non seulement inconnu mais inexistant pour qui que ce soit, un citoyen au-dessous de tout soupçon …Pour l’instant mon crime est un crime de papier …
Il regardait trop de séries violentes sur Netflix, il fallait qu’il s’en désabonnât. Et pourtant Netflix or not Netflix en France même, la réalité depuis une dizaine d’années, avait dépassé la fiction avec les Fourniret, Georges, Heaulme, Emile Louis, David Hotyat, puis plus récemment Jonathan Daval … Certes les histoires, les profils, les mobiles, les prétextes, les modes de tuerie étaient différents mais à l’origine l’on y détectait chez les meurtriers ou les assassins, la misère des origines, les ratages de la vie, les jalousies, les manques, l’obsession du fantasme à mettre en oeuvre, l’utopie d’une espérance tragiquement désespérée en une vie nouvelle, paradoxalement libérée, apaisée, rédemptrice voire radieuse aux lendemains de l’acte.
Mais ce médecin légiste dit que chacun d’entre nous peut-être un meurtrier.. la preuve ! Maloiseau !
Parce qu’enfin Maloiseau qu’était-il, qui était-il, un type lambda, le monsieur que l’on croise, que l’on salue, le voisin, le monsieur tout le monde dont tout le monde n’a rien à faire, dont on ne pourrait imaginer l’ombre même d’un instant qu’il pût être parcouru de pensers aussi horrifiants, qu’il pût concevoir une stratégie de destruction aussi barbare … Un passant qu’on ne voyait même pas…
Mais ça c’était une enfilade de mots couchés sur le papier, c’était de la littérature, et il ne pouvait continuer à s’écouter écrire, écrire était fuir et maintenant il fallait mouiller le maillot … A présent il lui fallait lancer la réflexion, penser, organiser ses meurtres, élaborer une stratégie, établir une chronologie, planifier et les mettre à exécution.
Maintenant il convenait de préciser le profil de chaque cible, d’en déterminer la localisation, l’environnement, d’en étudier les habitudes, tels les créneaux de sorties et leurs variantes, de cerner leurs relations de quartier, puis d’élaborer pour chacune ainsi circonvenue l’approche et le mode d’intervention le plus adapté tout en intégrant les risques de déconvenues, de ratés, et savoir alors imaginer les parades, prévoir les ajustements, les impromptus, les improvisations, voire les remises en cause, imaginer pour s’y préparer, y parer les interpellations surprises, subites, inattendues, auxquelles on ne s’attendait précisément pas, de celles qui proviennent de la source ou de la personne la plus improbable, au moment, à l’instant où tout paraît calme, définitif, résolu, irréversible, sans appel, où tout a repris place, est redevenu serein, où l’affaire relève d’un passé, d’un lointain passé, où le souvenir même passe à la trappe de l’oubli… .
Maloiseau n’ignorait rien des ténacités policières, des nouvelles technologies d’information, de communication, des nouvelles sciences de recherche sans omettre les regards des murs aveugles qui épient, ceux des caméras de télésurveillances, des smartphones que l’on sort de sa poche, le travail des profileurs, des mentalistes, la géolocalisation, le tracing, les miniatures de caméras et de micros cachés … l’adn qui moucharde tout.
Il savait que dix ans, vingt ans après, un siècle après l’on pouvait dénouer l’énigme, trouver les preuves et le coupable, mais lui même dans dix ans et peut-être même avant avec un peu de chance il ne serait même plus une poussière …
Maloiseau ne connaissait pas une série policière dans laquelle l’on ne finît pas par trouver le coupable.
Alors oui il importait de liquider proprement ces bonshommes et ces bonnes femmes et ainsi de tendre au crime parfait et selon lui tendre au crime parfait c’est à dire à n’en laisser aucune trace, aucun indice, aucune preuve conduisant d’abord à se convaincre lui-même que le crime n’avait jamais été commis, et qu’il avait été à sa manière comme la vie, qu’il n’avait été qu’un songe, vida es sueño et ensuite à planter du moins un temps utile les enquêteurs …. Donc vite fait, bien fait, ni vu ni connu, sans adn, sans poil, sans cheveu, sans raclure d’ongle, sans empreinte, sans, sans, sans… La police scientifique il la niquerait … après tout l’on avait peine à retrouver les gangs spécialisés dans le Home-jacking qui ni vu ni connu capuchonnés effectuaient des raids notamment chez les particuliers, il serait un home jacker …
Le crime parfait dont il suivrait, lirait les péripéties de l’enquête et les déclarations d’un procureur de la République heure par heure sur les chaînes d’info en continu. Rien que de s’imaginer en action, et sans qu’il sût ni qui, ni quand, ni comment, Maloiseau savourait déjà, salivait même un peu.
Alors hein ! Maloiseau devait développer un savoir-faire, une compétence, une méthode, une maîtrise, un art pour mener à bien cette mission qui pouvait être l’oeuvre grandiose de sa vie, mission qu’au demeurant et par ailleurs même si Dieu avait existé Dieu n’aurait pas même imaginé. Enfin Dieu ne pouvait être un fou et plus qu’un fou, un dément, enfin pour ne pas dire en résumé … La femme de Maloiseau qui elle avait une perception des choses très au ras des pâquerettes, elle, aurait dit pour ne pas dire … Un gros con !.
Soyons simple Maloiseau n’était qu’un grand malade.
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